Avec le décès de Valéry Giscard d’Estaing, le dernier de la génération des constructeurs européens nous a quittés. L’homme politique, décédé le 2 décembre 2020 à l’âge de 94 ans, entretenait une relation amicale avec Otto de Habsbourg, qui a donné son nom à notre Fondation. Les deux personnalités déterminantes de l’histoire du 20eme siecle se sont connues par l’intermédiaire du Mouvement Paneuropéen.
Otto de Habsbourg rejoignit en 1936 ce mouvement lancé par le comte Richard Coudenhove-Kalergi en 1923. Il en devint le vice-président en 1957, puis le président en 1973. Outre son intérêt européen, c’est par l’intermédiaire de son père que Valéry Giscard d’Estaing connut cette organisation. Edmond Giscard d’Estaing, économiste et banquier de renom, s’était en effet engagé dans la création de l’unité économique du Vieux Continent à partir des années 1920 et entretint plus tard une longue amitié avec le comte Coudenhove-Kalergi.[1]
L’amitié entre Valéry Giscard d’Estaing et Otto Habsburg reposait sur leur passion et leur engagement communs à construire l’unité européenne. La preuve en est la correspondance entre les deux personnalités, dont le thème récurrent est le passé, le présent et l’avenir de l’Europe.[2] Le 17 mai 1974, c’est par ces lignes qu’Otto de Habsbourg, Président de l’Union Paneuropéenne, félicita Valéry Giscard d’Estaing pour son élection à la présidence :
Le Mouvement Paneuropéen International salue votre élection à la Présidence comm garantie que la France restera libre et Européenne. Nous sommes convaincus de votre volonté de continuer à agir en faveur de la relance d’une Europe politique qui est la condition urgente et indispensable de survie de nos peuples et de notre civilisation.[3]
Le 28 mai 1974, le père de Valéry Giscard d’Estaing écrivit quelques lignes amicales en remerciement du télégramme de félicitation de Vienne adressé à son fils.[4] Edmond Giscard d’Estaing était en effet un grand admirateur d’Otto de Habsbourg. En 1970, lui-même, alors président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, informa Otto qu’il venait d’être élu membre de l’Institut de France, c’est-à-dire qu’il entrait « parmi les immortels ».[5] L’ancien prétendant au trône était donc en très bons termes avec toute la famille, il correspondit plus tard aussi avec le fils de Valéry Giscard d’Estaing.
L’homme politique français le reçut également à plusieurs reprises lorsqu’il était chef de l’État, bien que pendant cette période, ils soient restés en contact davantage par l’intermédiaire d’Edmond Giscard d’Estaing. A la demande de ce dernier, Otto aida par exemple en 1975 à trouver une commune autrichienne avec laquelle jumeler Saint-Saturnin, lieu proche de l’ancien nid familial de la famille Giscard d’Estaing.[6] Edmond de son côté accepta d’écrire une postface pour le volume d’entretiens avec la reine Zita.[7] Quelques mois plus tard, Otto – en tant que président du Mouvement Paneuropéen – demanda au père du chef de l’État francais d’accepter d’être dans le comité du Prix Coudenhove-Kalergi. Il raisonnait ainsi : C’est en tant que vieil ami de Coudenhove-Kalergi et aussi d’Européen convaincu depuis toujours, que nous avons pensé a vous.[8] Edmond Giscard d’Estaing accepta volontiers, et présida ce comité pendant de longues années. Alors qu’il se prononçait ouvertement dans ses conférences en soutien à la politique du président français, Otto rapporta à Edmond, dans une lettre datée du 29 septembre 1975, qu’il était accusé « d’être dans certains milieux un agent Giscardien ». Il ajoutait : « Je suis fier de cette appelation. »[9]
Les deux hommes politiques restait en contact jusqu’a la mort d’Otto en 2011. Le fait que l’ancien héritier du trône ait été député au Parlement européen de 1979 à 1999 a encore renforcé leur amitié. Il se voyait régulierement et échangaient des messages ainsi que leurs pensées.[10] Il s’envoyaient des livres également. En juillet 2002, Otto s’est tourné a Valéry Giscard d’Estaing dans une longue lettre pour le demander qu’il intervienne pour que la France soit médiatrice entre la Tchéquie et l’Allemagne ainsi qu’entre la Hongrie et la Tchéquie pour que « les scandaleux » decrets de Benes soient invalidés. Les raisonement de quatre pages n’a pas touché son ami francais. Valéry Giscard d’Estaing toutefois reconu que les decrets forcés de l’homme politique tcheque ont causé de la peine et de profonde blessure et que leur retrait serait effectivement souhaitable, cependant il ne voyait pas la possibilité l’intervention de la France, mais il pensait que la guérison serait plus possible avec la construction européenne.[11]
En décembre 2002, Otto a félicité Valéry Giscard d’Estaing lorqu’il a appris, que le prix de Charlesmagne a lui été décérné a Aix-la-Chapelle. Dans sa lettre, il a exprimé sa joie que la reconnaissance soit tombée sur une personne digne qui « renforce ainsi le prestige du prix. » Un an plus tard, il envoie un autre message de félicitations lorsque son ami est élu membre de l’Académie française. Le 16 janvier 2004, Otto n’a pas pu participer a la cérémonie d’invesiture, car il a été en ce moment a Budapest. Preuve de leur amitié, Valéry Giscard d’Estaing était l’invité d’honneur de la célébration du 90e anniversaire d’Otto à Vienne le 20 novembre 2002. L’ancien président français a une nouvelle fois souligné qu’il célébrait « un grand ami et un grand européen ». Selon certains souvenirs, il l’appelait souvent « Otto von Europa ».[12]
Nous voudrions commémoré Valéry Giscard d’Estaing en présentant l’amitié – a nos jours déja oublé – de l’ancien chef de l’État francais décédé et Otto de Habsbourg. Dans le même temps, nous voudrions attirer l’attention sur la pierre angulaire de la relation entre les deux, leur engagement européen.
Gergely Fejérdy
[1] Ludger, Künhardt: European Union – the second founding. The changing rationale of European integration. Baden-Baden, Nomos, 2008, 391. Sur Edmond Giscard d’Estaing: Bonafé, Félix: Edmond Giscard d’Estaing. Un humaniste d’homme d’action. Paris, France-Empire, 1982.
[2] La correspondance peut être suivie dans les archives d’Otto de Habsbourg que notre Fondation gère et qui sont en cours de classement.
[3] Archives de la Fondation Otto de Habsbourg (Budapest) HOAL Correspondances. Correspondances avec des personnalités. HOAL I–1–d–1974–Valéry Giscard d’Estaing (le 27 mai 1974.) (Archives en cours de traitement)
[4] HOAL I–1–d–1974–Edmond Giscard d’Estaing (le 28 mai 1974.) (Archives en cours de traitement)
[5] HOAL I–1–d–1970–Edmond Giscard d’Estaing (le 2 juin 1970.) (Archoves en cours de traitement)
[6] La mere du chef de l’État francais, May Bardoux (1901-2003) a décédé dans cette commune.
[7] Feigl, Erich (Hrsg.): Kaiserin Zita. Legende und Wahrheit. Wien–München, Amalthea, 1977. Le postface demandé n’a finalment jamais été écris et le livre est sorti avec la préface de Cardinal Jozsef Mindszenty.
[8] HOAL I–1–d–1976–Edmond Giscard d’Estaing (le 22 novembre 1976.) (Archives en cours de traitement.)
[9] HOAL I–1–d–1975–Edmond Giscard d’Estaing (le 29 septembre 1975.) (Archives en cours de traitement.)
[10] Alain Lamassoure a fait alusion a cela durant son intervention online du 20 novembre 2020. Par exemple, il a dit, qu’il a été inoubliable pour lui un déjeuner à Bruxelles avec Otto Habsburg et Valéry Giscard d’Estaing en 1990. (https://habsburgottoalapitvany.hu/online-beszelgetes-habsburg-otto-es-a-mi-europa-vizionk/ )
[11] HOAL I–1–d–2002–Valéry Giscard d’Estaing (le 13 juillet 2002.) (Archives en cours de traitement.)
[12] https://academiesciencesmoralesetpolitiques.fr/2013/04/08/installation-du-juge-stephen-breyer-juge-a-la-cour-supreme-des-etats-unis-comme-associe-etranger/ (Consulté le 3 décembre 2020.)
Photo: Európai Parlament, Multimedia Centre, 20020624_HABSBURG